Pour la langue bulgare


Pour la langue bulgare

Kiril Hristov, revue “Rodna retch”, 1938; livre V; page 209-212.

La langue d’un peuple est son œuvre la plus grande. Elle est un outil complexe et vivant pour un progrès multilatéral. Moyennant elle la pensée artistique et scientifique la plus parfaite, par ses nuances innombrables, se transmet de tête en tête. Moyennant elle les sentiments les plus éminents, nés dans l’âme des représentants suprêmes de la nation, se diffusent pour faire élever chacun de ses membres. La culture matérielle dans son sens le plus général n’est pas encore un but pour la vie d’un peuple dans l’histoire ; elle n’est qu’un moyen vers le but qui est une culture spirituelle. Sans celle-ci les peuples passent et s’en vont, ne laissant dans les siècles que le son vide de leurs noms.

La langue d’un peuple est son arme principale qui ne cesse pas de le protéger de l’anéantissement, même dans les ténèbres de l’esclavage. Tant qu’ils gardent cette arme, même les plus opprimés peuvent avoir l’espoir de l’avenir. Tout bulgare sait que notre peuple a survécu le double juge séculaire, qu’il a subit, uniquement parce qu’il a sauvegardé sa langue.

Quand même il y a des Bulgares qui pensent que notre langue ne se distingue pas de dignités particulières. Ce sont habituellement des gens semi-intelligents qui savent parler tant bien que mal une langue étrangère et qui importent dans notre langue des mots étrangers tout à fait inutiles et dont les nécessités spirituelles bornées ne leur permettent pas de découvrir les trésors remplis de préciosités de notre discours natal. Celui qui connaît d’autres langues occidentales et a la possibilité de faire une comparaison avec elles, il ne peut de tout négliger la langue bulgare. Notre langue est très belle et beaucoup plus achevée que nous ne le supposons ; mais malheureusement elle est connue très mal d’une grande partie de la société cultivée – pis que le peuple non cultivé le connaît.

C’est fort compréhensible quand un étranger non compétent reste avec une impression désagréable de notre langue. Car même devant des étrangers, c’est très rare que le Bulgare parle bien le bulgare, c’est très rare qu’il emploie ses possibilités musicales. Dans ce cas il ne faut pas oublier qu’il parle d’habitude crûment même les langues étrangères les plus sonores. L’éloquence viendra avec l’ennoblissement des âmes.

Mais quelles sont, concrètement, les qualités qui peuvent être démontrées et qui déterminent la place de la langue bulgare parmi les langues européennes ? – Quelques unes des priorités deviennent encore plus visibles et plus visibles pour nous-mêmes et pour les explorateurs étrangers de la langue bulgare. Je laisse de côté les richesses énormes du vocabulaire, pour évoquer celles des temps verbaux. Pour le passé nous avons notamment sept formes. Cette magnificence manque même à des langues qui ont eu un développement séculaire. Autre richesse extraordinaire du verbe bulgare sont ses modes : une fois ou bien plusieurs fois l’action se fait-elle, si elle a seulement commencée ou bien elle a commencé et continue, ou bien elle a commencé et a été achevée, ou bien si elle est instantanée ou sporadique, de temps en temps… Ce que le mode de notre verbe peut exprimer, ceci même les langues civilisées les plus parfaites peuvent exprimer difficilement ou bien dans la plupart des cas ne sont pas de même à le faire. Est-il nécessaire de rappeler que plus le verbe est développé dans une langue, plus la langue est achevée. Souvent « verbe » est synonyme de « parole ». Rappelez-vous la Sainte Ecriture.

Je vais mentionner d’autres richesses de la langue bulgare, auxquelles peu, voire pas de tout a fait-on attention. Surtout à l’amplitude sonore extraordinairement grande qui est accentuée par l’apparition fréquente du son sombre « Ъ ». Certains considèrent naïvement que ce son sombre enlaidissait notre langue. Mais le philosophe français Taine dans sa « Histoire de la littérature anglaise » exprime son regret que ce même son (qui dans l’anglais est plus fréquent que dans le bulgare) n’existait pas dans sa langue natale française.

Quand il s’agit de l’art linguistique, cela dépend de la capacité de l’artiste et son intention dans un moment donné de choisir de telle manière ses mots, de mettre en concert de telle manière ses sons, que nous entendions tantôt le murmure d’un petit ruisseau dans le pré, tantôt le grondement d’une chute d’eau dans les rochers érodés, tantôt le bruit d’une étoffe de soi, tantôt le vacarme de clairons et de tambours. La grande amplitude sonore de la langue bulgare donne la possibilité d’une « création sonore » très complexe. Il ne faut envier ces langues qui ne connaissent que les tons doux.

Il y a une supériorité qui place la langue bulgare à une hauteur exclusive que seulement quelques langues européennes : c’est son accent mobile qui donne des possibilités rythmiques inépuisables. La plupart des langues européennes ont l’accent à la première syllabe des mots. A ces langues dans la poésie ne sont propres que le chorée (ou trochée) et le dactyle. Quelques unes d’elles avec de grandes violences sur la langue réussissent à adapter d’autres mètres du discours rythmé (en tout cas ce n’est pas l’anapeste qui est impossible pour eux), ainsi de la même manière ils obtiennent également des rimes masculines. Un autre groupes de langues, slaves et romanes, auxquelles appartiennent quelques unes des plus sonores, ont l’accent à l’avant dernière syllabe – et seulement par exception à la troisième et à la dernière. De cette façon ces langues disposent de peu et de mauvaises rimes masculines, ou bien n’ont pas de tout de telles rimes, comme le polonais. Enfin il y a une langue merveilleuse, le français, avec un accent toujours à la dernière syllabe. Malgré l’élan splendide que cet accent lui donne, cette langue aussi, notamment parce que l’accent est fixé toujours à la dernière syllabe, est avec des possibilités rythmiques limitées. De sa part il n’a pas de rimes féminines. La prononciation des « e » muets ne peut pas y remédier.

Or, d’une trentaine de langues européennes, il y a seulement quelques unes qui peuvent porter l’accent à toutes les syllabes. Ce sont le bulgare, le russe (qui s’est développé sous l’influence de l’ancienne grammaire, vocabulaire et écriture bulgares) et le slovène, le peuple le plus petit de l’ (ex)Yougoslavie. De toutes les autres langues européennes seulement l’anglais a ces grandes qualités rythmiques.

Il ne faut pas penser que cette priorité extraordinaire et précieuse de la langue peut intéresser uniquement les poètes. La rythmique linguistique variée proviennent de la rythmique du peuple entier et de sa part se reflète dans toutes ses activités. Ce n’est que sur sa base que ces activités peuvent se développer dans un éclat de plus en plus riche et de plus en plus rythmique. Si vous écoutez, soit-il l’orateur le plus grand, à une langue d’accent à la première syllabe, vous restez rythmiquement non satisfait : ce permanent dactyle ou chorée, même dans la prose, évoque dans vos yeux une telle image : un enfant qui saut, après commence à marcher à quatre pattes, saut de nouveau et marche de nouveau à quatre pattes. Le ïambe ou l’anapeste énergique du français ferme également la rythmicité dans certaines limites.

Je pense que celui qui comprend qu’un peuple a déposé soi-même entier dans sa langue, celui-ci ne peut pas avoir une attitude négligente envers sa langue natale. Il ne peut pas ne pas l’aimer avec toute sa flamme de son âme.

Les grandes vertus que les Bulgares portent dans leurs cœurs, l’héroïsme avec lequel ils ont étonné le monde, sont gravés dans leur langue solide et puissante. Elle, de la même manière que les victoires sur le champ de bataille, charmera les étrangers lorsqu’ils prennent connaissance de ses moyens infinis et des valeurs dans les œuvres, qui révèlent la force et les particularités précieuses et uniques de l’âme bulgare.


Kiril Hristov, revue “Rodna retch”, 1938; livre V; page 209-212.

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